Sunday, August 25, 2013

 

Le monde a changé et ce cri de colère est devenu mal orienté

ISMAËL AÏT DJAFER – COMPLAINTE DES MENDIANTS ARABES DE LA CASBAH ET DE LA PETITE YASMINA TUÉE PAR SON PÈRE – EDITIONS BOUCHENE – ÉCRIT 1951 – PREMIÈRE ÉDITION 1987 – © 2002

Une poésie du temps de la colonisation d’Alger à peine trois ans avant le début de la guerre de libération, six ans après la fin du fascisme et du nazisme.

L’idéologie coloniale est représentée dans ce long poème par la référence régulière et lourde à Charlemagne l’inventeur de l’école selon la légende française de la mythologie laïque et chaque fois ou presque ce Charlemagne ramène à la surface une chanson qu’on a appris à l’école :
Au clair de la lune,
Il était un petit navire,
Frère Jacques,
Il court il court le furet,
Une fleur au chapeau,
Sur le Pont d’Avignon,
et la dernière sifflée par les personnages
Un macchabée c’est bien triste.


Le poème est donc d’abord la dénonciation du colonialisme mental qui appelle a une « décolonialisation » mentale, culturelle et spirituelle également, et cela bien après la décolonisation de l’indépendance. Cela explique à la fois le fait que le poème n’a pas été publié quand les Français régnaient en maîtres en Algérie. Trop dangereux. Puis qu’il ait été publié en 1987 seulement, justement quand la décolonisation spirituelle est la revendication qui monte sept ans après la mort de Boumédienne quand l’Algérie hésite entre la tentation islamiste naissante (GIA, Groupe Islamique Armé) et la tentation de l’arabisation et de l’islamisation modérées. La suite fut sanglante. Mais que vise ce poème ?

Il parle du point de vue des mendiants d’Alger du temps de la colonisation et devient un cri de référence à la lutte des Algériens pour leur intégrité et donc une tentative de centrer le débat des années 1980 sur le problème de la pauvreté et du développement industriel et économique. Les repus coloniaux ont été remplacés avec l’argent du gaz naturel par les repus de l’indépendance. C’est donc une critique directe au régime du FLN, un régime qui a remplacé une domination par une autre avec la menace d’une islamisation islamiste possible qui serait une troisième étape de dépendance.


Mais la forme du poème est une sorte de « slam » construit sur la base d’invectives contre ceux qui dominent cette société. Les invectives sont directes, haineuses et répétitives. Et elles se centrent sur un événement, un fait divers particulièrement odieux. Un mendiant de 42 ans aidés dans son calvaire par sa fille Yasmina de 9 ans, par deux fois force sa fille sous les roues d’un camion.  Elle en meurt. Le poème est dédié à la mémoire de cette fillette. Cette poésie directe qui ne peut être que parlée car lue sous sa forme écrite elle apparaît extrême sinon extrémiste. Mais vue comme une invective incantatoire sur la tombe de la victime cela devient une bombe, un cri de colère, une cri de souffrance, une plainte d’horreur devant l’insouciance des gens repus, devant l’impunité des gens établis qui imposent à une frange sociale la misère de la mendicité.

On se demande alors pourquoi ce texte publié seulement en 1987 a conservé Charlemagne et les comptines françaises, car alors c’était plutôt la référence au Prophète et les versets du Coran que l’on apprenait à l’école en arabe justement coranique. Mais aujourd’hui ce texte est totalement déphasé car l’enjeu de la misère n’est plus celui des SDF mais bien plus largement la lutte des pays autrefois sous-développés pour leur propre émergence.


Dans ces pays ci-devant sous-développés la misère existe, ainsi que la mendicité, mais le jeu a totalement changé car cette mendicité, si elle est autorisée, se dirige vers les touristes étrangers et non vers les nantis nationaux. Et les pays ci-devant sous-développés suivent trois lignes dont une seule pourrait apparaître comme de la mendicité.

Ils exigent leur dû pour réparer les dommages du pillage et du colonialisme. Mais ile le font aujourd’hui au nom de l’humanisme et de la dignité et au niveau mondial : aide à l’enfance, aide à la culture et à l’éducation, aide à la santé, aide au développement, etc.


La deuxième ligne est celle de la lutte pour son propre développement. Une lutte qui a pris du temps pour démarrer mais qui depuis une vingtaine d’année se met sur les rails du succès. Mais pour cela il aura fallu qu’un changement radical se fasse au niveau mondial.

Il aura fallu que cinq siècles de colonialisme soient effacés par une dynamique de retour aux équilibres du monde d’avant ce grand changement qui eut lieu en Europe après le premier siècle de la Grande Peste Noire, après la Guerre de Cent Ans et quelques autres, après l’invention de l’imprimerie (d’ailleurs importée d’Asie) et le désir d’expansionnisme ne serait-ce que pour permettre aux soudards du féodalisme d’aller guerroyer loin de l’Europe.


Et ce retour aux dynamiques anciennes est symbolisé par l’émergence de la Chine, puis de l’Inde et le recentrage du monde entier sur l’Océan Indien et bientôt l’Atlantique sud.

Et ce n’est qu’un commencement. Et cela aujourd’hui rend ce poème plus qu’ambigu, gênant.

La citation de l’article de presse qui annonce le fait que le père a été sauvé de la peine de mort, la guillotine dûment mentionnée, car reconnu irresponsable par les experts psychiatriques semble aller dans le sens de la demande de la peine de mort contre ce père pourtant aussi victime que sa propre fille


« Avec le sang de ta fille
Tu as acheté
            Pour la vie
La soupe des accusés
            Et le pain des condamnés
Dans la prison chaude
De ta conscience
Etouffée
A présent que te voilà fou
Ils se sont chargés de ta lourde responsabilité
Mentale
Et ce n’est plus leur faute
Et ce n’est plus ta faute
Et ce n’est plus la faute de la petite Yasmina
Et ce n’est plus la faute
De cette formidable absurdité qui se
            Tord de rire !... »


Dommage encore car cela évacue le vrai problème du colonialisme mental qui aura pris environ soixante ans pour commencer à reculer dans les continents colonisés, sans parler du continent nord-américain ou même l’Europe (Irlande, Yougoslavie, Pays Basque, Corse, Républiques Baltes et quelques autres encore.


Dr Jacques COULARDEAU



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