Friday, November 29, 2013

 

Goya vaut bien une référence, même si certains l'oublient.

VAUGHN BODÉ – DĂS KÄMPF – 1963 – JEAN-PAUL GABILLIET – 2013

La première remarque à faire est que le livre est entièrement bilingue. En français à partir de la première de couverture et en anglais à partir de la quatrième de couverture. La postface de Jean-Paul Gabilliet est elle aussi en deux langues et a été traduite en anglais par Alexis Pernsteiner. Je ne dirai rien de cette traduction. Par contre je n’ai trouvé aucune part, dans les pages de copyright par exemple où cela devrait être mentionné, l’auteur de la traduction des légendes de la « bédé ». Je crois savoir qu’elle est de Jean-Paul Gabilliet. Si je me trompe autant pour moi.


Cette traduction d’ailleurs est souvent plus guindé que l’original car le ton n’est pas conservé entièrement. En effet l’utilisation  par exemple de la deuxième personne qui peut être du singulier comme du pluriel en anglais construit une référence personnelle en fait non référentielle, j’entends ne référant pas à la personne singulière, ou plurielle d’ailleurs, à laquelle les dessins s’adressent, le ou les lecteurs. Cette deuxième personne en fait réfère au soldat singulier du dessin qui subit la bêtise de la guerre, mais en lui donnant une valeur plurielle et donc a-personnelle, impersonnelle, générique. C’est vrai pour tout soldat. L’utilisation du singulier « tu » en français, tue, c’est le cas de le dire, cette dimension générique. Le traducteur l’a senti d’ailleurs car dans certains cas il préfère une troisième personnelle singulière impersonnelle et donc générique d’où un ton plus guindé que l’original.


On pourrait pousser plus loin car parfois il fait l’inverse comme page 36 :
« WAR is being awful tired and wanting to go home – so you do… »
qui devient en français :
« LA GUERRE, c’est quand t’es crevé et que tu veux rentrer chez toi… et que tu rentres chez toi… »

Je ne peux rien dire sur l’article devant GUERRE car il est de droit si j’ose dire, bien qu’il enlève l’adresse directe, le coup de poing que le nom anglais sans article porte en lui. Mais on perd ici la force de « awful » adjectif employé en adverbe et que le traducteur intégre à l’adjectif en utilisant « crevé » au lieu de « fatigué » mais cela enlève  la double rythmique trochaïque remplacée par deux syllabes non accentuées bien sûr puisqu’on est en français. Les trochées anglais sont une rythmique inversée de la rythmique naturelle et la plus courante et dynamique de l’iambe. Ici ces trochées donnent une sorte d’impression d’essoufflement, donc de grande fatigue.


Traduire « to go home » par «  rentrer chez toi » pose deux problèmes : d’une part « home » (« sweet home » bien sûr) est effacé et j’aurais préféré « rentrer à la maison » sans compter qu’alors j’aurais ainsi gardé la non référence personnelle, donc l’impersonnel, alors que Jean-Paul Gabilliet cataphoriquement rajoute une référence de deuxième personne du singulier, incité en cela par cette référence qui est générique comme je l’ai dit dans « so you do… » Mais la dimension générique de ce « you » anglais est perdue au profit d’une dimension d’adresse personnelle au lecteur de la légende.

La répétition de « rentrer chez toi » enlève la dimension automatique, non planifiée, non voulue, simplement réflexive (de l’ordre du réflexe) de l’anglais « – so you do… » On notera le tiret remplacé par les trois points de suspension. La valeur sémantique des deux n’est pas la même, le tiret anglais impliquant qu’il n’y a aucune réflexion et l’automatisme de l’ordre du réflexe non réfléchi est bien sûr fortement porté par le « so », reprise anaphorique de « go home ». On me dira que cela est intraduisible. Certes mais traduire « home » par « maison » aurait ajouté en français le subtilité de E.T. qui pointe son doigt vers son étoile et dit « home » et la version doublée dit « maison ». Je ne proposerai rien ici. Personnellement je ne traduirais pas un texte de ce genre. Je ne m’appelle pas Google ou Reverso qui ont la prétention de tout traduire.


La postface est honnête et donne les éléments factuels nécessaires pour comprendre. Mais je n’ai pas trouvé la référence que j’attendais à Mad Magazine qui a largement fait dans le genre caustique, antipolitique, antimilitariste, anti-establishment depuis 1952. J’attendais aussi la mention d’Art Spiegelman et de sa « revue » RAW qui en grande partie hérite du travail de Vaughn Bodé. Mais il y a d’autres précurseurs et d’autres héritiers.

Que dire ce cet « humour » noir et caustique sur la guerre qui en montre l’absurdité logique ou la logique absurde. Goya lui avait fait dans la barbarie cruelle ou la cruauté barbare. Je regrette aussi l’absence de ces dessins, croquis, esquisses, estampes, « bédé » avant l’heure des « Désastres de la guertre ».


C’est un peu comme quand un colonel pendant des manœuvres (tirs à blanc) inspecte le « front » sans avoir mis les plastrons et brassards blancs spéciaux pour les observateurs et qui se plaint ensuite qu’un appelé (cela se faisait encore en ce temps-là) tire que le colon « à blanc » certes mais à portée de flamme (la poudre de la balle à blanc brûle bien sûr et produit une flamme d’environ un mètre cinquante ou deux.

Ce serait un lieutenant dans des manœuvres qui donne l’ordre de jeter les bombes fumigènes sur la route devant son char sans réaliser que le vent lui souffle dans le visage, ce que l’appelé (cela existait autrefois) futé a remarqué et jette donc avec jubilation une fumigène d’un kilo deux mètres devant le char que le lieutenant, sorti des écoles militaires s’il vous plait, doit faire déplacer d’urgence.


Faites les mêmes choses en, guerre réelle et non en manœuvre et vous avez Vaughn Bodé. C’est d’ailleurs pourquoi la suppression du service militaire a été une catastrophe humoristique pour le commun des mortels qui savait prendre ses pieds dans bien du plaisir avec les sottises de certains jeune officiers inexpérimentés ou de certains vieux officiers engoncés dans leurs souvenirs de guerre réelle, comme la Guerre d’Algérie.

« GUERRE : C’est quand on met un rat affamé sous un casque lourd sur le bas-ventre, génital bien sûr, d’un Arabe uniquement vêtu de ses poils. »

Je vois le dessin d’ici, y compris avec la tête de l’adjudant qui ne manquait jamais l’occasion de raconter son histoire à une PFAT innocente (Personnel Féminin de l’Armée de terre) fraîchement arrivée à la CAR N°1 de Rueil Malmaison.


Dr Jacques COULARDEAU



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