Saturday, April 30, 2016

 

Un livre capital mais trop noir et sans lumière

PÈRE MARIE-BERNARD F.J. – LA DANSE MACABRE DE LA CHAISE-DIEU DANS SON CONTEXTE ARTISTIQUE ET RELIGIEUX – ASSOCIATION LA CASADÉENNE – 1993

Ce livre est fondamental, mais seulement comme une porte entrouverte vers une dimension supérieure d’analyse. Le livre accepte la date de la fresque couramment posée dans les années 1980-1990 et affirme donc que sa réalisation a du avoir lieu en 1470. Depuis ce temps-là le travail de Patrick Rossi publié en 2006 jette le doute. Patrick Rossi s’appuyant essentiellement sur l’examen minutieux des vêtements et accessoires la date à 1425. Ce qui la rendrait contemporaine avec celle qui est considérée comme la première, celle du Cimetière des Innocents à Paris (qu’on ne peut plus examiner puisqu’elle a été emportée dans une vague de démolitions urbaines il y a déjà très longtemps. Mais la question est ouverte car Patrick Rossi avance aussi des analyses surprenantes sur la vielle à roue du ménestrel qu’il affirme avoir été trafiquée dans une période plus récente et pense qu’il s’agit d’un luth ou d’un instrument de ce genre. De la même façon il considère que les bésicles et le « boîtier » de ces bésicles du « moine avec ses travaux » (19ème personnage de la Danse Macabre) sont eux aussi des rajouts récents qu’il considère comme étant des graffiti. Mais sans la moindre preuve réelle d’analyse scientifique (carbone par exemple) son argument que le trait est plus lourd et plus épais est un argument plutôt faible.

Sans vouloir trancher, peut-être que 1425 est un peu tôt, mais 1470 me semble définitivement plutôt tardif. A ce moment-là la guerre de cent ans est bien terminée et le roi de France bien installé et reconnu avec Agne IV de La Tour  (1425-1489), Baron d’Olliergues et Vicomte de Turenne, avec un important prieuré casadéen à Saint Gervais sous Meymont et une riche paroisse à La Chabasse, bien installé au sommet des forces armées royales. Olliergues est à moins d’une journée de cheval de l’Abbaye. La région est en pleine reconstruction et repeuplement après la Grande Peste pour l’essentiel terminée vers 1450 et même un peu plus tôt. Il est alors venu le temps de dépasser la noire période de la peste et de la guerre et de tirer la leçon fondamentale sans laquelle la vie n’est pas possible, à savoir que la vie est mortelle et que la mort est la fin naturelle de cette vie et que l’on ne doit pas redouter cette fin si elle vient par des voies naturelles. Les mourants de la peste bubonique avaient-ils le temps et l’énergie, auraient-ils pu avoir le temps et l’énergie, de réfléchir sur ce qui de toute façon était pour dans les heures qui suivaient ? Poser la question est y répondre. On ne saurait jamais réfléchir sur la mort si on n’a pas un possible recul vital devant elle, si on n’a pas un certain délai avant de mourir, si on n’a pas un espoir de vie ou de survie suffisante pour tenter d’amadouer la mort ? La résilience humaine est immense et on ne peut perdre l’espoir que le moment arrivé, atteint avec le dernier souffle qu’il faut bien pousser un jour.


Car, et c’est ce qui manque dans toutes les approches que je lis sur le sujet, autant on peut voir une mort sarcastique, caustique, ironique, voir pire dans cette fresque, autant la représentation que l’artiste en fait est une moquerie de cette mort prétentieuse et arrogante. C’est une assertion du droit à vivre, de la force vitale qui est en chaque homme, même moine de La Chaise Dieu. Cela n’efface pas ce que beaucoup d’auteurs oublient aussi et que cet auteur privilégie : la puissante présence de la mort dans le quotidien des gens à la fin du Moyen Âge marquée par la crise démographique à partir de la fin du 13ème siècle, la peste noire en plein milieu du 14ème siècle et qui va faire rage pendant cinquante à soixante-dix ans, sans être vraiment terminée 70 ans après son arrivée en 1348 à Marseille mais n’ayant plus qu’une virulence épisodique, et par la guerre de cent ans (1537-1453, couronnement de Charles VII en 1429, le début de la fin : vous savez, non ? Jeanne d’Arc.).

Il s’agit de bien comprendre que le projet du Père Marie-Bernard est important et qu’il faudrait plus d’un opuscule pour le couvrir. Quel est le contexte religieux de l’Europe, et de l’Auvergne, à partir du début de la crise démographique qui commence vers 1275 jusqu’à l’arrivée de l’imprimerie qui transforme la gestion culturelle, intellectuelle et administrative de l’état comme de l’église en 1450. Le Père Marie Bernard insiste sur tout ce qui concerne la mort et la vision de la mort, et même la domination de la mort, en ce temps-là. Il attribue cela à une vaste crise morale, politique, théologique même, religieuse définitivement. Il insiste sur le grand schisme, mais ne dit pas que Clément VI, le pape qui a fait construire l’abbatiale de La Chaise Dieu actuelle, était pape avec le grand schisme qui ne pose un problème qu’après la construction. Il insiste sur le nominalisme d’Occam, une révolution intellectuelle puisque pour Occam l’intelligence n’est plus le moyen de rencontrer Dieu et sa vérité dans la foi mais le moyen de raisonner et donc de chercher la vérité dans ce raisonnement. La foi se trouve remplacée par le pouvoir conceptualisateur de l’homme. C’est l’annonce évidente de la Renaissance. Il n’est plus important de savoir que le soleil tourne autour de la terre comme le dit le dogme mais de savoir par expérience ce qu’il en est vraiment, j’entends en vérité. Cela alors ne donne pas à la mort un quelconque pouvoir comme le dit le Père Marie-Bernard, mais au contraire donne à l’homme le pouvoir de faire face à la mort.

L’insistance sur les Quattuor Novissima, les quatre fins dernières, la mort, le jugement, la gloire éternelle (le ciel comme l’appelle le Père Marie-Bernard) et l’enfer, est importante mais il faut jamais enfermer l’homme dans un tel dogme. C’est certes la mort qui domine comme objectif ou fin ultime de la vie mais cela pose le jugement, donc ce que l’on a fait pendant la vie, de bien ou de mal, puis la possibilité d’atteindre la gloire éternelle, donc le paradis, ou le châtiment donc l’enfer. Mais le Père Marie-Bernard critique que cette approche médiévale est une réduction car il manque la différence entre le jugement particulier juste après la mort qui envoie les pécheurs graves en enfers, les saints ou les personnes pures et bonnes au paradis, et surtout les entre deux au purgatoire, dimension absente de cette pensée médiévale, mais plus encore car il manque la résurrection des corps et le Jugement Dernier après la seconde venue du Christ (et le Père Marie-Bernard jamais ne prononce le mot d’Apocalypse). Il eût été plus convaincant s’il avait cité la fresque du Jugement Dernier de l’église Saint Austremoine d’Issoire qui est de la période 1450-1470 et qui ne pose que les damnés et les élus, ce qui est normal puisque c’est le Jugement Dernier. Mais Huon d’Auvergne (1341 (manuscrit de Berlin); 1441 (manuscrit de Turin)) fait allusion au Purgatoire où Roland, le neveu de Charlemagne, dans ses voyages post mortem retrouve sa grand-mère Berthe et cela se relie avec la légende de Charlemagne et de son inceste dont Roland serait né. Le purgatoire n’est pas nié, loin de là, mais la Danse Macabre n’est pas une façon de se soumettre à la mort, ce qui exigerait qu’on parle de l’après mais c’est une façon d’humaniser la mort qui n’est qu’un voyou qui bouscule et brutalise les gens. Et la mettre en scène comme cela c’est se moquer d’elle et ne pas parler de l’au-delà c’est lui dire que l’on serait bien sot de se soumettre à sa violence.

Certes la mort de fait pas de différence entre les états des gens, certes beaucoup résistent et certains se soumettent, mais réagissez donc braves gens et tancez cette mort qui n’est qu’une mauvaise passe dans la vie.

Il y a certes un culte du macabre qui se développe à partir de la crise démographique, à partir de la construction des Ponts du Diable au 13ème siècle (deuxième moitié), et dans la suite de la croisade des Albigeois et de l’Inquisition, vaste tentative de l’église, ou plutôt des hiérarques de l’église de sauver leurs positions privilégiées alors que la disette puis la famine vont s’installer car la population a grandi plus vite que les ressources agricoles. C’est ce contexte social et économique qui manque à ce livre et le seul contexte religieux réduit le débat à une sorte de prêche inhumain puisqu’il s’agit simplement de prêcher la soumission à la mort, à Dieu qui punit les hommes par la mort parce qu’un homme et une femme ont du mangé un fruit défendu pour pouvoir enfin procréer et développer l’espèce humaine. Cachez ce sein que je ne saurais voir, mais si on ne voit pas ce sein-là on risque fort de ne jamais donner naissance à Abel, Caïn ou Seth. Il est vrai que vu le destin des deux premiers Adam et Eve auraient mieux fait de ne pas manger ce fruit. Et dire que cette fresque commence avec Adam et Eve puis le prédicateur qui donne le sens, le seul sens que l’on doit voir dans ces images ! Mais comme il n’y a pas les mots on peut penser ce que l’on veut, et en ce temps-là, même lointain, je suis sûr qu’il y avait plus d’un moine, plus d’un homme, plus d’une femme, et même plus d’un enfant qui savait aussi que la vie vaut d’être vécue et qu’après la mort tout n’est qu’incertain, et je crois que la façon dont cette mort est tancée y compris par le bébé dans ses langes il y a anguille sous roche, vous savez ce serpent aquatique, mais est-ce un serpent ? Cela y ressemble beaucoup, mais cela n’en est probablement pas un.

Tout cela sent le coup fourré, et même la langue fourrée, comme un fourré ardent, ou est-ce un buisson, on n’empêchera jamais les hommes de se fourrer martel en tête et de fourrer leur nid avec le duvet de quelque oiseau ou oiselle. Aussi noire que puisse être la réalité d’une période qui voit la population baisser de 50% en une trentaine d’années et donc la mortalité toucher 75% de la population, il reste un peu de lumière dans ces âmes pour après la tempête ou le plus fort de la tempête se gausser et faire gorge chaude de cette mort qui veut tout briser sur son passage, bien qu’il soit difficile de lui faire rendre gorge une fois qu’elle a mordu sa proie ou que sa proie a mordu à son hameçon.

Il y a me semble-t-il dans toutes les approches de cette danse macabre un manque évident : c’est une œuvre d’art, une œuvre de l’esprit, et donc on ne peut ni la réduire à un discours théologique de maître de la Sorbonne, ni à une analyse historique froide comme un vent du nord. Il y a une dimension personnelle, une imagination sinon un imaginaire qui aimerait bien pendre haut et court cette mort indécente, mais faute de grives on mange des merles, alors on se contentera de montrer son arrogance et de lui rire au nez. Si je meurs je t’échappe, grande bêtasse ! Et même si je n’emporterai pas ma vielle a roue au paradis, ou en enfer, ou au purgatoire, j’emporterai quand même ma musique dans ma tête, commele sesclaves             africains ont emmené leur musique polyrythmique dans leurs têtes et ont inventé le jazz en chantant pour régler leur travail dans le schamps de coton pour eviter de recevoir trtop de coups de fouets et peut-être viovre jusqu’à 25 ou 30 ans. Quelle petite cervelle atrophiée que tu es, pauvre mort mesquine.

Ils vont me dire que je ne vois que ce que je veux bien voir. Mais les deux, vous et moi, ne faisons-nous pas la paire ? Bien sûr que si comme le sud n’existe que si on n’a pas perdu le nord.


Dr Jacques COULARDEAU

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