Monday, September 26, 2016

 

A trop vouloir prouver on ne prouve rien

BRUNO DUMONT – CAMILLE CLAUDEL 1915 – 2012

Cent ans plus tard ou presque après l’internement en 1913. Elle restera ainsi enfermée jusqu’en 1943 soit trente ans. La raison n’en est pas claire dans le film où une seule allusion au meurtre d’un enfant est explicitée par son frère, et encore dans une lettre.

Ce qu’on sait c’est qu’elle a eu une relation sexuelle avec Rodin et que les deux étant sculpteurs une rivalité se développe qui aurait pu être une vraie compétition, mais elle devient après la rupture une véritable paranoïa. Il faut dire que la relation sexuelle n’a rien d’amoureuse. Elle produit plusieurs enfants non reconnus par le père et de nombreux avortements, tous bien sûr clandestins et illégaux. D’où l’allusion au meurtre d’un enfant par le frère qui en bon chrétien ne peut que condamner. Elle est soutenue par son père mais il meurt en 1913. Elle vit à l’époque sur l’île Saint Louis à Paris. Sa mère et son frère Paul Claudel, diplomate et écrivain, la font enfermer purement et simplement. Sa mère signe l’ordre d’internement dit placement « volontaire ». Cela n’est pas clair dans le film et c’est dommage car ce que l’on ne sait pas et ce que l’on sait ne servent pas le sujet correctement. Notons en passant que Paul Claudel n’a pas pu lire « Une Saison en Enfer » de Rimbaud car Rimbaud a fait brûler tout le tirage avant de partir en Ethiopie ouvrir un commerce d’esclaves et que cette « Saison en Enfer » ne sera publiée par les frères Breton dans la revue Poésie 1, n° 4, qu’en 1969 à partir du seul exemplaire conservé par l’imprimeur.


Ceci étant dit il est évident que de nombreux éléments se coordonnent pour en arriver à cette solution qui était une solution courante dans les familles aisées, et même plus qu’aisées : elles faisaient interner le fils ou la fille qui déplaisait en payant bien sûr la facture. On ne dira même pas qu’il y a eu victimisation par la psychologie ou la psychiatrie. Il y a eu simple internement à la demande de la famille. Avant la Révolution Française c’eût été dans un couvent sous le voile d’une religieuse pour les filles. En 1913 c’était dans un asile tenu par des bonnes sœurs et on essayait de couvrir pour le public avec un diagnostic psychiatrique qui ne voulait rien dire. On remarquera que la mère avait 73 ans au moment de l’internement et qu’après sa mort le frère Paul Claudel ne reviendra pas sur la situation et maintiendra sa sœur dans l’institution. Remarquons qu’après la deuxième guerre mondiale la justification psychiatrique aurait pu être remise en cause, mais Camille Claudel n’aura pas cette chance.


On a donc d’emblée la victimisation d’une femme pour des motivations familiales qui sont toutes de l’ordre des convenances et surtout du fait d’une conviction catholique intégriste pour ne pas dire fondamentaliste. Paul Claudel et son œuvre théâtrale est typique à ce niveau et il n’admet pas que l’on puisse remettre en cause l’existence omniprésente de Dieu qui laisse les gens pêcher pour prouver que le bien existe puisque le mal existe et que c’est un choix, le bien, bien sûr, car le mal est une simple malédiction humaine. C’est une parole casuistique mais c’est une parole fortement courante jusqu’à une période relativement récente  et que certains continuent à employer. Le mal est nécessaire pour prouver que le bien est un choix et il s’agit alors de punir ceux qui font le mal.

L’ennui c’est que le film ne fait que donner à voir une situation très réduite dans le temps, environ deux ou trois jours de 1915, sans vraie explication sur les détails de cette situation. Les explications génériques de Paul Claudel à un moine et probablement prêtre du cloître où il a passé la nuit sont tellement génériques qu’elles n’en ont plus aucun sens, une sorte de délire déiste chrétien.


C’est là que l’on retrouve Bruno Dumont et que l’on est dans la suite de « Hors Satan ». Si les femmes ont le diable dans la peau et qu’il faut les en exorciser, il est alors évident que Camille Claudel est typique. Il se complet à montrer comment elle est la proie de ses fantasmes de persécution, empoisonnement, peur des autres, crises de pleurs, etc. Il l’entoure d’êtres qui ne sont pas seulement psychologiquement dérangés mais qui sont des caricatures d’êtres humains, difformes, très largement au-delà d’un point de non retour tant psychiatrique que physique : ils sont visuellement des monstres effrayants, des gargouilles vivantes. Enfermée dans cette cage aux fauves on ne voit pas comment elle pourrait trouver un équilibre, ou retrouver et reconstruire un tel équilibre. Le film prétend que le docteur est conscient qu’elle pourrait rentrer chez elle à Paris, mais la réponse de Paul Claudel est négative.

Le film alors a-t-il un sens autre qu’anecdotique ?


Je le crois. Bruno Dumont continue ici son exploration des profondeurs aliénées (à tous les sens du mot) et aliénantes (à tous les sens du terme) de la société au niveau des individus et des circonstances dans lesquelles ils sont plongés. C’est une vision noire, plus que noire, anthracite de la vie, de la nature humaine. Le mal n’est pas autorisé par dieu – dont Bruno Dumont se gausse par caricature – pour permettre au bien d’apparaître comme un choix. Le mal est la nature la plus profonde de l’homme et le bien ne peut être qu’un supplément d’âme fait pour certains prédestinés et sélectionnés par leurs gènes autant que par dieu, qui dominent la société et maintiennent tous les autres dans la noirceur du cloaque où ils sont enfermés, où ils ont été enfermés, où les élites les ont enfermés, et n’oublions que certains fils ou filles de ces élites sont des hommes et des femmes ordinaires donc aussi noirs que la nuit sans étoile qui règne au plus profonde de l’enfer.


Il n’y a pas d’échappatoire pour Bruno Dumont. Cela veut dire qu’il n’y a pas de solution qui pourrait améliorer la situation, que cette solution soit religieuse, politique ou simplement éducative et sociale.  Il ridiculise la religion et l’accuse de tous les maux, qu’elle soit chrétienne ou musulmane. La politique est totalement absente de son discours comme si la société était un champ de bataille sans armées et sans camps adverses mais simplement un bouillon brownien de brutalité et de haine bestiale : on est loin de l’aliénation au sens marxiste, mais on est tout à fait au plus profond de l’eugénisme de H.G. Wells dans « Time Machine ». Il n’y pas de sauveur possible. Il n’y a pas de choix pour le bien ou le mal. Nous sommes tous – sauf les élites qu’on ne voit pas – condamnés à être des marionnettes du mal qui nous hante et nous domine.

Et en plus cela dure, peut durer, car le châtiment et les circonstances dignes des égouts les plus pollués dans lesquelles les personnages vivent peuvent durer toute une vie, de la naissance à la mort. Noyez vous dans Bruno Dumont et vous en mourrai, noyés bien sûr, ou simplement de noyade avec valium dans le canal de la Deûle à Lille, tout comme mon amie Monique, tout au bout du boulevard de la Liberté, car mourir dans le canal de la Deûle c’est la liberté suprême. Et vous pourrait avoir comme dernière pensée avant de sombrer dans l’eau « Inch Allah Vauban » en regardant la citadelle Vauban, juste l’autre côté.


Dr Jacques COULARDEAU




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