Friday, October 28, 2016

 

Que ce monde entre Indochine et Algérie a vieilli!

FRANÇOISE SAGAN – CHÂTEAU EN SUÈDE – ANNICK BLANCHETEAU – 2009 (1960)

Françoise Sagan a appRis à écrire entre les années 50 et les années 60. Disons entre la fin de la guerre d’Indochine (1954) et Mai 1968. Elle est de cette période et n’a jamais su en sortir. L’existentialisme de Sartre est pour elle passé et certainement trop compliqué, voire démodé et l’absurde de Samuel Beckett et quelques autres qui font chanter les souris chauves est simplement trop cache-misère de ce qu’on ne veut pas dire qu’elle a laissé des deux « choses » sur les bords de la route sans les pousser cependant dans le fossé.

Son style, son projet, sa dérive est de construire un monde qui ne vit que dans les mots et qui simplement travaille l’incohérence linguistique pour produire du sémantisme, donc du sens et cette pièce est typique. Enfermons une famille dans un château en Suède coupé du monde entier pendant au moins quatre mois par la neige et implantons un cousin quelconque dans ce monde reclus. Le mouvement brownien de ce bain saumâtre saura produire la course effrénée de tous ces personnages qui sont comme les chiens de Chopin : ils se courent après leur appendice pédonculaire postérieur.


Françoise Sagan sème de l’inceste comme d’autres sèmeraient du blé ou des radis. Un frère et une sœur, puis un marri avec deux femmes. Ne nous trompons pas de cible, rien en dehors de rapports homme femme. Incestueux c’est OK, adultère encore plus mais gai n’a que le sens de joyeux. On est au temps de l’amendement Mirguet (1962) et du débat acerbe contre tout ce qui est . . . le mot de l’époque avait à voir avec une partie mécanique d’un vélo, allez chercher pourquoi. Mais c’était un crime social relevant de la justice et de la prison.

Et pour que cela soit clair le frère incestueux aura un enfant avec la sœur du maître de maison lequel ne possède qu’un tiers de la propriété alors que la sœur en possède deux tiers. Envoyez un cousin dans ce cloaque et il tombe ou sombre amoureux fou de la femme actuelle du maître de maison qui est aussi la sœur du frère incestueux. Pas clair mais lumineux. Le jeu est de prendre cet intrus familier car familial au piège de la monstruosité de cette poche de survie hivernale, et cela marche comme sur des roulettes, enfin des skis, et donc ça glisse.


La langue qu’on débite sans la tirer, l’agitation scénique d’une bande de rats dératés, le langage des corps que surtout l’on garde bien emmitouflés, tout concourt à créer une atmosphère glauque où chacun est sur le dos de chacun des autres en même temps, réciproquement, simultanément et successivement. Il n’y a plus d’intimité. Alors tout pourrit et le dénouement est naturel. Le pauvre intrus, Frédéric, fuira ce foyer scandaleux et menaçant pour aller chercher du secours et il mourra, dévoré par des loups j’imagine, au coin d’un bois : il ne restera au printemps et au dégel que de tout petits os.

Et l’hiver suivant on recommence.

Certaines réparties sont tellement cruelles, choquantes même que l’on peut sourire parfois mais globalement c’est une pièce d’horreur que l’on vous conte sur le ton d’une parabole sacrée, pourquoi pas biblique, mais sécularisée bien sûr car en 1960 il n’était pas question en France de même murmurer le nom de . . . l’être suprême, comme on disait au temps de Robespierre.


C’est bien joué, très enjoué, souriant en diable et grinçant comme une porte de prison, mais qu’est-ce que cela nous dit sur la société française de 1960 ? Une simple chose : les distractions se devaient d’ignorer le monde réel mais en même temps de rester l’écho de la barbarie Nazie, de l’eugénisme etc. Il y a toujours dans une famille quelques individus dont on doit se défaire pour ne pas mourir empoisonné. On a toujours besoin de petits pois chez soi, disait la pub de l’époque. Aimez-vous comme des frères et sœurs mais ne vous trompez jamais d’orientation : tout droit vers le bénitier pour . . . Cynique et en même temps si passé qu’on a un peu peur de ce monde. Heureux qui comme beaucoup n’y ont jamais mis les pieds. On ramassait les mégots en ce temps-là.


Dr Jacques COULARDEAU



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