Thursday, March 30, 2017

 

Un jazz un peu déjanté et fébrilement érotique


STEPHANE BELMONDO – THE SAME AS IT NEVER WAS BEFORE - 2011

Un trompettiste, d’abord et avant tout qui a donc joué toute sa vie durant dans des formations de jazz ou plus légères mais ici qui s’adonne aussi à des morceaux qu’il porte de son propre nom, donc comme compositeur. Le titre anglais est bien sûr une provocation. Comment prétendre faire dans le jazz autrement qu’en anglais ? Mais comme dirait Steinbeck : « Prenez n’importe quelle musique dans n’importe quel genre ou pays et improvisez dessus en tempo syncopé et vous avez du jazz. » Il disait cela dans l’ancienne Union Soviétique. C’est la pratique la plus courante de son frère Lionel, à notre Stéphane, qui prend des morceaux classiques et les déjante en jazz, les dé-jazze en quelque sorte.

Stéphane Belmondo reprend une pièce sur deux à des artistes de langue anglaise et probablement américains. Et cela donne de la variété en style alterné comme un tissu pied de poule.


Le premier morceau de Stéphane Belmondo est nostalgique en diable et m’évoque le vertige contemplateur qu’on peut développer d’une cime de montagne plus ou moins élevée quand devant vous, sous vos pieds ou presque, à vos pieds pour sûr vous n’avez que le vide et l’envolée tombante si par malheur vous oubliez d’ouvrir vos ailes musicales pour descendre en vol plané.

Stevie Wonder donne ensuite du rythme, de la joie, car lui il ne voit pas le vide sous ses pieds et donc il peut danser sans s’arrêter quel que soit le climat ou le paysage. Par contre Habiba de Kirk Lightsey introduit un sous-bois plutôt simple pour la trompette ou autre cousine dérivée ou cousin mal luné qui peut alors s’introduire et montre son caractère grincheux, hésitant, un peu révolté ou insoumis qui se demande s’il doit aller à droite ou à gauche, s’il doit s’envoler ou se poser, plonger ou faire la planche. Il joue même d’une sorte d’écho de lui-même, une voix de tête de sa voix de poitrine. Très bonne introduction à ce qui vient ensuite, le corps principal de ce ou cet ou cette Habiba qui me rappelle Habib Bourguiba dans ma mémoire ancienne, mais en fait c’est de l’anglais urbain comme ils disent là-bas de l’anglais presque vulgaire ou argotique des quartiers dits populaires comme Belleville ou Ménilmontant. Et là le sens est simple :


“The meaning of Habiba is beloved, sweetheart or loved one, and it's incredibly accurate. A Habiba is a stunning human being, with a brilliant sense of humour and a personality that reminds you why it is a pleasure to be alive.
Habiba can make you laugh when you've had the worst day. You can talk to her as though you've known her your whole life, and trust her with anything. Habiba's are beautiful creatures, and if you know one then hold on! You feel that the world is a brighter place simply by talking to her. She is the kindest, most genuine individual, who you can be yourself - no matter how ridiculous that is - with, and an absolute honour to have in your life :)
Habiba is the kind of incredible friend that I would happily share Tom Hiddleston with. Cheekbones and all. I love her so, so much.”

L’amour parfait mais que l’on est prêt à partager. Etrange concept de l’amour qui est comme l’amour d’une bonne pièce de bœuf que l’on partage avec son meilleur ami. Mais cet amour partagé devient fou avec la trompette qui s’emballe comme un taureau devant un morceau de chiffon rouge. Il ferait bien de freiner un de ces jours, de s’arrêter, mais rien à faire. Il danse comme un fou, un dératé, un inconscient aux mains pleines qui se ruent vers le ravin comme un bison poussé par le troupeau en folie et qui va aller s‘écraser au fond d’un ravin. Les charognards viendront après comme la batterie, tambours et cymbales qui s’en donnent à cœur joie du silence de la bête. Là aussi, il y a de l’amour qui se clôt par quatre notes de piano.


Stéphane Belmondo nous donne alors une de ses compositions et on retrouve le ton un peu lent et hésitant mais nostalgique, presque triste malgré le titre « free for three » qui devrait être enthousiasmant car trois ça tourne en diable comme une valse en Sainte Trinité et libre c’est encore plus tournant, mais non pas tourner de l’œil d’émoi alangui mais tourner comme une toupie au bord de la falaise, et on reçoit en priorité l’appel du vide et de la chute. On hésite, d’un orteil ou de deux, vais-je sauter, plonger, sombrer ou réfléchir à deux fois ou simplement m’abandonner au plaisir de commencer la chute en oubliant les remontrances d’un vieux père que l’on doit penser la fin avant de commencer. Mais le fils et frère n’écoute rien sinon l’appel du tambour.

Mais une fois ne vient jamais seule et Stéphane Belmondo nous donne une autre composition de lui qui commence avec les vagissements d’un bébé et un solo de contrebasse aux cordes piqués, pincées et tordues comme il se doit. Puis cymbales, piano et nous voilà parti et la trompette prend le lead, le lied, la tête et le chant. Et la lumière sur Rita tombe sèche et langoureuse, elle sera humide plus tard. Pour le moment elle est jouisseuse de la vue voyeuriste et le piano piaffe un peu d’impatience. Mais Rita n’est pas vraiment à prendre, du moins pas encore. La trompette se fait un peu plus attirante, moqueuse, attirante, appelante, et même un peu exhibitionniste. Alors piano me prendras-tu ou pas. Plutôt pas que oui mais pas question de fuir hurle la trompette, taratata. Mais rien n’y fait le piano a perdu son latin et son envie j’imagine à cette trompette dominante. Il se noie plus ou moins dans la contrebasse comme si pianoter dans la contrebasse pouvait couper le nœud gordien de l’impossible rencontre d’un piano un peu trop réservé et d’une trompette devenue un peu trop aguichante comme si on était place Clichy quatre minute après minuit, demandez à Stephen King, il sait tout ce qui peut arriver à cette heure fatidique. Et la trompette revient pour une dernière absinthe sur un sucre et la batterie ajoute un peu d’eau sur le sucre pour diluer l’absinthe et en faire un jus de fruit désorbitant. Musique parisienne en diable, du Paris populaire et du Paris érotique pour ne pas dire pornographique.


Matt Denis a alors rendez-vous avec nos musiciens et c’est le cas de la dire Everything Happens to Me. Et là ma chère trompette tenez-vous bien et ne dérangez pas l’étal du magasin. Calme, lentement, avancez d’un pas plus sûr qu’il n’y paraît et faites donc que le destin qui est derrière vous, vous soutienne et vous pousse vers des extrémités, des fins, des finalités inconnues et nouvelles. Mais la langueur paresseuse de notre trompette résiste à la poussée et ne ressent pas l’appel alors elle se prend d’une jouissance personnelle sur place, tournant sur un pied et un talon et se demandant s’il n’y aurait pas un ciel d’aube qui puisse se révéler dans la nuit de ce boulevard à la porte du Cimetière du Père Lachaise incapable de pousser le portillon ou de passer le mur pour enfin se trouver dans la seule chose qui arrivera un jour pour sûr, de jour comme de nuit, la mort certaine et la fin en terre ou en fumée comme si rien ne pouvait dépasser cette limite triste. Ah quoi bon pourvu qu’on ait un verre de vin j’imagine, en cinq notes.

Mais Stéphane Belmondo se devait bien d’en appeler à Dieu et son Godspeed n’a rien de bien rapide ni divin mais bien plus diabolique, répétitif, lancinant, méchant même. Il y a un charme dans cette titillation sans fin comme si on était dans un concours de chatouillis et de gratouillis qui finit heureusement avant d’exploser.


Wayne Shorter veut nous prêcher l’unité dans son United, une unité comme pour du square dancing disjoncté et qui n’en finit pas de ne pas se trouver. Il part ici et là dans un jazz plus urbain mais ne se retrouve quand même pas. Unis, nous sommes peut-être mais cela devient fébrile, intense, prenant, emportant, impératif, pressant, injonctif et tout sauf conditionnel. Le mouvement nous prend les pieds et le corps et nous déboulons sur l’avenue principale de je ne sais quelle New York, Nunited, Nyounited, Newnited. Le piano se croit dans un speakeasy alcoolique et il nous enivre de ses touches noires et blanches, de son clavier qui ondule dans notre ivresse. La batterie nous tanne la peau et le dos comme si nous étions quelques esclaves méritant le fouet, et la trompette peut revenir avec un chat à neuf queues pour ajouter quelques griffures à notre dos balafré de fouettage salé. Et on retombe dans le petit air mélodique du début comme si de rien n’était, comme si ce fouettage n’avait été qu’un exercice de jouissance dans l’exquise douleur de ce qui ne dure qu’un temps toujours trop court.

Et nous finissons avec Stéphane Belmondo qui nous hante maintenant et est hanté de la même façon. Hanté, hantant, bref pris d’un spectre en forme de trompette et de quelques chaînes pianistiques en prière. Voyez-vous le revenant, le fantôme de je ne sais quelle nuit folle au matin arrivé et qui se doit de se demander ce qui a bien pu arriver dans ce monde nocturne. Et le piano fait ses vocalises sur nos nerfs tirés à blanc. Vous mourrez bien ce matin, petit frère mal appris et spectral. Mais nous en parlerons dans quelques heures quand j’aurai repris du poil de la bête. Et après une pause tout reprend dans des gargouillis et un équilibre retrouvé. Le fantôme de la gueule de bois est parti et il ne reste plus qu’un appétit à en mourir de faim. Et bien dansez donc maintenant.


Dr. Jacques COULARDEAU



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